mardi, janvier 24, 2006

Innocents d'Outreau


J’ai suivi leur déposition plusieurs heures sur la Chaine parlementaire

Le témoignage qui m’a le plus frappé ne concerne pas les acquittés, mais la soeur d’un accusé mort en prison d’une overdose de calmant semble t’il, et qui se bat pour essayer de le faire réhabiliter.Tâche difficile: il n’a pas été jugé, et le cours de la justice s’est éteint avec sa mort. Il appartenait à la communauté gitane:”chez nous, dit sa soeur, on est peut-être des voleurs de poule, mais les enfants c’est sacré, on ne touche pas aux enfants” ; elle continue à exposer oralement ce qu’a été le calvaire de son frère, de ses parents, l’annonce brutale du décés par téléphone. Un récit poignant...Ensuite, elle prend trois feuilles, et explique qu’elle va les lire; elle s’excuse par avance , elle n’est pas toujours allée à l’école, elle ne sait pas lire ...Quel courage.. Se lancer publiquement dans une aventure pareille..Elle bute sur des mots délicats, se les fait lire par le voisin, s’excuse, s’excuse tout le temps, dit que c’est bientôt fini, sourit. Quel sourire... et en face, attentifs à l’extrême, le président et le rapporteur de la commission , quel respect on peut lire sur leur visage. Grand moment ...

Outreau est situé dans le Pas de Calais, et j’ai retrouvé l’accent du coin,celui de mes voisins, celui des parents de mes anciens élèves, et aussi les expressions des “gens de peu” comme dit Pierre Sansot .L’un d’entre eux, de Calais, s’excuse :” c’est comme ça qu’on parle chez nous”. J’ai reconnu aussi toute la profondeur humaine et la solidarité qui s’installe chez ceux qui subissent ensembles les mêmes épreuves, celles qu’on peut rencontrer en temps de gréve, ou en période de guerre; par exemple : les mouvements d’approbation du visage de ceux qui se taisent lorsque l’un d’entre eux explique une situation particulière, mais présente aussi dans leur propre histoire, le geste discret d’une main qui accompagne et encourage la personne qui s’exprime. Toutes ces petites manifestations inattendues et réconfortantes.

J’ai été étonné par l’aisance de toutes ces personnes devant un auditoire sélectionné; elles ont subi , il est vrai, outre les assauts du juge d’instruction, les épreuves d’un procés public et c’est un rude apprentissage à la prise de parole.

Devant ces récits durs à entendre, la qualité d’écoute des membres de la commission reste remarquable. On a parfois une image déformée des parlementaires lorsqu’ils s’invectivent dans l’hémicycle à l’Assemblée par exemple. Rien de tel là; j’avais déjà remarqué cette écoute lorsque j’avais visionné cet été les retransmisions différées des travaux d’une commission sur les OGM. Mais aujourdhui l’événement se déroule devant moi en direct, avec il est vrai la succession des images choisies par les caméras. Ce qui permet de voir des réactions individuelles et de faire connaissance avec les visages des parlementaires aux noms connus dans la région: Guy Lengagne, Léonce Desprez etc...

Une émission de “vraie” téléréalité, donc, celle où les informations sont brutes, et non passées à la moulinette filtrante des journaux télévisés du soir; des images où un téléspectateur attentif entend et voit des gens ordinaires raconter avec des mots simples un moment de leur vie où tout s’emballe, tout culbute pour les broyer , eux accusés et leur entourage cassé.